Rédacteur : comment retenir l’attention de son lecteur ?

04 mai 2020
Temps de lecture : 15 minutes

Comment, dans ce contexte de saturation d’informations, le rédacteur peut-il retenir l’attention de son lecteur ? D’après Jean-Marc Hardy, la confiance en soi et l’ouverture de conscience donnent de la puissance à l’écriture.
Savez-vous que le rédacteur peut créer des sillons neuronaux dans le cerveau de son lecteur ? Intéressant à une période de surcharge cognitive. Retrouvez ses très bons conseils dans cet article ainsi que des techniques et ficelles pour préserver le lecteur de la surcharge cognitive et comment allier écriture, émotion et empathie.

Le paysage du contenu


Avant de démarrer l’interview, voici une photo de Jean-Marc Hardy et Isabelle Canivet, les pionniers de la rédaction web francophone, qui ont créé Yellow Dolphins.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur leur site

Ferréole

Jean-Marc, peux-tu nous partager ta vision du contenu en 2020 ?

Jean-Marc

Le paysage de la rédaction est aujourd’hui très contrasté. D’un côté, on assiste à une effervescence de contenus, polluante, à faible valeur ajoutée, avec des redites incroyables. Une sorte de brouhaha dans lequel chacun essaye de se faire entendre. Et dans cette masse, on trouve de véritables perles, des articles très consistants pour lesquels on a envie de dire « WAW ! Merci, merci, merci. ». Des perles dans une botte de foin, c’est ainsi que je vois la planète « contenu » en 2020.

Au rayon du « copié-collé », je te donne un exemple, qui concerne notre domaine.
À la fin des années 90, Jakob Nielsen, un ergonome du web, réalisait une étude sur les mécanismes de lecture en ligne.
À cette époque où la résolution moyenne des écrans était de 640 x 480 pixels dans une palette de 256 couleurs, avec de lourdes télévisions aveuglantes comme terminaux, Nielsen énonce une observation : « La lecture à l’écran est 30% plus lente que sur le papier ».
Jakob Nielsen, lui-même, a depuis communiqué des chiffres très différents. Malheureusement, par un effet de copié-collé et de piaillements de la toile, ce chiffre persiste.
Figure-toi que je l’ai vu imprimé, il y a quelques mois seulement, sur des affiches en quadrichromie à la Commission européenne.
Et bien d’autres blogueurs ont repris très récemment cette donnée comme argent comptant. De fait, même dans notre propre secteur de la communication, le discernement n’est pas toujours au rendez-vous. Et la perle est noyée dans le « fake » et la botte de foin.
Je trouve formidable que chacun(e) ait la possibilité de publier et s’exprimer sur la toile.
Mais comme tu le soulignes très bien, Ferréole, une écologie est nécessaire : recouper, digérer, se questionner… avant d’inonder la toile.

L’autre partie du paysage, ce sont heureusement les contenus longs, consistants, originaux. Ceux qui convoquent la gratitude : merci à l’auteur de me donner gratuitement toute cette matière !
La consécration SEO de ces perles est généralement au rendez-vous, mais elle se fait lente : un très bon référencement est obtenu au bout de quelques mois, 1an, voire 2 ans.

Ferréole

Il me semble important aussi de structurer son audience pour l’atteindre avec une frappe quasi chirurgicale. Il est ainsi plus rapide de la toucher via une newsletter par exemple que par le SEO.

Jean-Marc

effectivement, nous remarquons que l’e-mail reste un excellent canal où la conversion et la rétention obtiennent les meilleurs scores. Les meilleurs acteurs de la communication e-mail articulent leurs newsletters autour d’une ligne éditoriale cohérente, régulière, qui tient la route dans la durée. Prenez quelqu’un comme Olivier Andrieu dans le domaine du SEO : cela fait 20 ans qu’il communique comme un métronome. Le résultat est au rendez-vous.

Retenir l’attention de son lecteur dans un contexte de la saturation d’informations

Ferréole


Yellow Dolphins a dernièrement écrit « le stress rend le lecteur moins réceptif ». La saturation en information fait partie du stress. Dans notre contexte de saturation d’infos, que pouvons-nous faire, nous producteurs de contenus, pour le confort de nos lecteurs ?

Jean-Marc

Dès le départ, nous héritons d’un lecteur qui vit dans un contexte de surinformation.  Le lecteur est déjà saturé en abordant un article, sa disponibilité est faible. Les psychologues vous le diront : la surcharge mentale est en train de devenir le mal du siècle.

Tu as vu comme moi les statistiques : les gens relaient des articles, sans les lire. Les partages ont lieu dans un laps de temps tellement court qu’il ne permet même pas la lecture du chapô.
Ils viralisent uniquement sur la base du titre sans s’être engagés dans le sujet.

C’est assez effrayant : il n’y a plus de disponibilité. Même si vous avez le capital sympathie des personnes, elles ne s’engagent pas pour autant.

En tant que rédacteurs, nous devons veiller à ne pas générer un stress supplémentaire, en amenant trop d’infos, trop denses. Voici déjà notre première part de responsabilité.

Pour préserver la surcharge cognitive du lecteur, appuyons-nous sur les classiques, qui fonctionnent quand ils sont bien menés.

Vous avez le choix entre deux grands principes d’écriture, quasiment opposés, presque bipolaires, pour aborder l’information : la pyramide inversée et le storytelling.

1_La pyramide inversée

Elle propose une réponse à la surinformation, en livrant d’emblée l’essentiel de l’information. Si je peux me permettre une expression grossière : la pyramide inversée revient à tout de suite « lâcher le morceau ». Dans un article écrit en pyramide inversée (je sais que je ne t’apprends rien, Ferréole), dès le titre et le chapô, on a déjà une parfaite idée du contenu de l’article, voire même de sa conclusion ! La pyramide inversée respecte ainsi le temps du lecteur. Elle est écologique. Elle permet de rapidement savoir si un article va nous apporter quelque chose ou pas. Lorsqu’on connaît l’impact écologique d’une simple recherche sur Google (en termes de serveur, d’énergie de la bande passante, etc.), toute initiative visant à raccourcir le processus de recherche d’information peut être considérée comme écologique.

On peut donc résumer en disant que la pyramide inversée est le pôle rationnel de la réponse à la surinformation. Note que nous avons une formation en ligne, très complète, dédiée à la technique de la pyramide inversée.

2_Le storytelling

La seconde option, c’est le storytelling. Il est plus audacieux et imprévisible. Le storytelling a ceci d’écologique qu’il prend le lecteur par la main pour lui frayer un chemin en mode : « Il était une fois… ». Le storytelling, c’est l’art de raconter une histoire.
C’est une tout autre logique. Ce qui compte, ce n’est pas de donner l’information de suite, mais d’entrer en relation avec le lecteur. L’histoire démarre par un pitch, mais elle reste entourée de nombreux mystères.

Imaginons une histoire dotée d’un potentiel émotionnel ou symbolique racontée en pyramide inversée, par exemple  le conte de Blanche Neige : cela n’aurait aucun sens ! Tout l’intérêt de l’histoire serait brisé.

Le storytelling convoque la narration et sa force, c’est son pouvoir émotionnel : arriver à faire imaginer, à faire ressentir en faisant appel aux 5 sens. Faire voir, faire entendre, faire sentir et ressentir, faire goûter l’histoire au lecteur.

Les talents du storytelleur résident dans cette écriture émotionnelle, sensitive, relationnelle. Elle offre la possibilité d’amener le lecteur à un point Z en partant du point A. Il ne s’agit pas de donner le Z ; en revanche de laisser sentir qu’il est intéressant d’emprunter le chemin de cette narration.

Si la pyramide inversée est accessible à tous, le storytelling est un challenge supérieur, qui n’est pas à la portée du premier rédacteur venu.

Ce n’est pas le style et la grammaire qui distinguent le bon storytelleur, mais sa personnalité ! Sa capacité à nous embarquer.

Le bon storytelleur doit aussi pouvoir contrôler l’ampleur des « méandres » qu’il se permet d’effectuer. Si notre trame est trop rectiligne, elle brise la saveur de la narration. Mais si nous digressons trop, le lecteur lâche.

Un bon storytelling implique de s’être fortement imprégné de son sujet. Il faut vivre son sujet avant de le transmettre. Lorsque j’accompagne des personnes en coaching éditorial, ce qui me passionne véritablement, c’est de travailler sur les émotions et l’imagination du rédacteur : qu’est-ce que nous ressentons ? Quelle vibration veut-on transmettre ? Comment écrire avec le cœur ? Quelles valeurs nous animent ? Dans le thème qui nous occupe, qui est le chevalier ? Quel trésor cherche-t-il ? Et quels dragons va-t-il rencontrer sur son chemin ? Dans quel état est-ce que je désire laisser mon lecteur à la fin du texte ?

Rédacteur, écriture, émotion et empathie

Ferréole

« Sans émotion, pas de rétention », annonce un article récent de Yellow Dolphins. Quels sont tes conseils pour convoquer l’empathie dans l’écriture ?

Jean-Marc

L’empathie, c’est la capacité à se mettre à la place du lecteur et à ressentir ses émotions.

L’empathie exige de la conscience et une prise de distance avec notre ego. En effet, pour tenir compte de l’autre, il faut avoir conscience de soi et ne pas projeter « notre » émotion automatiquement sur l’autre. Tout le monde ne pense pas comme nous. Tout le monde ne ressent pas les choses comme nous.

Il est vrai qu’un premier réflexe pourrait être de vouloir se mettre à la place du lecteur, et penser à sa place. Cela part d’un bon sentiment, mais c’est un piège. C’est très prétentieux (et surtout très naïf) de penser que nous avons ce pouvoir d’être dans la peau de l’autre. Un des « quatre accords toltèques » (pour faire référence à un ouvrage culte de Miguel Ruiz dans le domaine du développement personnel) nous invite à ne jamais faire de suppositions.

À partir de ce constat, nous pouvons développer dans notre écriture ce que j’appellerais une empathie « ouverte ». C’est-à-dire une posture empathique, mais qui n’a pas la prétention de savoir ce que pense l’autre.

Un exemple d’empathie ouverte : « Peut-être vous est-il déjà arrivé comme moi de… ». Ou encore : « Que ressentez-vous lorsque… ? De la colère ? ».

Un exemple d’empathie fermée, plus maladroite : « Vous cherchez une solution pour vos vacances ? Alors… ». Et bien non, c’est loupé, je n’ai plus de congés. J

Ton éditorial et langage clair

Ferréole

Sur la notion de ton éditorial, je constate que beaucoup de personnes que j’accompagne en formation ou beaucoup de mes clients sont dans l’attente d’un fameux ton éditorial qui résoudrait tout. Le point essentiel est à mon sens la clarté de l’information. Quel est ton point de vue ?

Jean-Marc

Je suis d’accord : le langage clair est une nécessité. Particulièrement dans certains contextes d’écriture. Ce n’est pas un hasard si les porte-flambeaux de la rédaction claire (je pense à Anne Vervier, par exemple) épinglent souvent des exemples ou contre-exemples dans le monde administratif, juridique ou institutionnel. C’est un domaine où nous avons soif de clarté.

Mais la rédaction claire a également sa place dans le secteur privé (le jargon commercial tient parfois du sanskrit, la sagesse en moins), et même dans la littérature (Saint-Exupéry était satisfait de son texte lorsqu’il n’y voyait plus rien à retrancher).

Confiance en soi & ouverture de conscience pour renforcer la puissance de son écriture

Ferréole

La confiance en soi, est-ce important pour le rédacteur, selon toi ?

Jean-Marc

Certainement ! La confiance en soi se reflète incroyablement dans votre écriture. La confiance en vous, mais aussi la confiance que vous avez dans les valeurs de votre client.

Je vais te confier un vécu, qui est révélateur.

Plus jeune, j’étais quelqu’un de très timide. J’ai d’ailleurs créé le site timidite.info, que j’anime toujours aujourd’hui.

J’ai constaté une évolution dans mon utilisation du vocabulaire au regard de mon propre cheminement par rapport à la timidité.

Au départ, c’était impossible pour moi d’utiliser des expressions telles que « dire adieu à sa timidité » ou « vaincre sa timidité ». J’utilisais tout au plus la formule « apprivoiser ma timidité », qui correspondait à mon propre état de confiance.

Aujourd’hui, je ne parle plus de « timidité » aux timides, je parle de « bâtir la confiance en soi ». J’ai complètement inversé le focus : du problème à la solution ! Ce qui n’était pas possible avant et qui grinçait, car je n’avais pas fait mon propre chemin.

Le même phénomène peut s’appliquer à n’importe quel sujet. Imagine que tu travailles pour une association écologique, par exemple, et que l’objectif de la communication soit de sensibiliser les gens à la pollution de l’air. Si tu as une approche classique et prudente, tu vas probablement mettre en avant des chiffres sur la pollution de l’air, en espérant (sans forcément trop y croire) que ces chiffres aient un impact sur l’attitude des gens.

Mais si tu as une très grande confiance en toi, tu porteras sans doute plus loin les objectifs de ton client. Et tu vas peut-être écrire un article dont l’objectif est que DEMAIN, au moins 1 sur 10 de tes lecteurs prennent le vélo, au lieu de la voiture, pour se rendre au travail ! Et plus tu y crois, plus ça va marcher… c’est cela la magie de la confiance en soi.

Dans mes coachings, ce qui me passionne le plus, c’est de travailler sur la confiance du rédacteur ou de la rédactrice face à son sujet. Car je sais que si le rédacteur prend confiance, sa plume va se libérer. Nous détectons ensemble les freins à l’écriture, les grincements, les « croyances limitantes », comme on les nomme en coaching. Non seulement cela donne de la puissance à l’écriture, mais cela donne surtout du sens à notre métier !

Bien sûr, tout reste une question d’équilibre et de justesse. L’humilité, c’est une force aussi J

Lorsqu’on écrit, les mots qui émergent sont en grande partie propulsés par notre inconscient. Des milliers de phrases seraient envisageables à chaque ligne. Pourquoi telle phrase plutôt qu’une autre ? Nos pensées et nos écrits sont étroitement liés à notre système de croyances et de valeurs. Ils sont naturellement limités par nos peurs inconscientes, nos fidélités, nos docilités, nos aspirations et nos ombres. C’est pourquoi le rédacteur qui élargit sa conscience et travaille sur lui va gagner en discernement, en justesse et en puissance. Les grands écrivains sont-ils de grands grammairiens ou de grands humains ?

Ferréole

Je te partage un propos relayé par Frederika Van Ingen : « Choisis bien les mots que tu utilises et les gestes que tu poses, car ils créent le monde qui t’entoure. »  nous enseignent les Navajos.
Les mots viennent de notre inconscient et créent notre réalité

Jean-Marc

À partir du moment où tu es lu, compris et surtout mémorisé, en tant que rédacteur, tu as imprimé dans la mémoire de ton lecteur. Du point de vue neuroscientifique, on peut affirmer que tu as créé un sillon neuronal dans le cerveau de ton lecteur. Tu y as laissé une trace biochimique. Tu as fait de l’effet aux neurotransmetteurs. Eh oui, bravo, tu es un créateur de sillons neuronaux J

Ferréole

Valeurs du rédacteur, valeurs de son client, quel juste équilibre ?

Jean-Marc

Le premier élément qui me semble important, c’est l’alignement : être conscient de nos propres valeurs en tant que rédacteur, connaître les valeurs de notre client, et nous aligner. Quand je dis « nous aligner », cela ne veut pas dire que vous devez avoir les mêmes valeurs que votre client. Mais cela veut dire que tu dois être au clair avec tes valeurs et celles de ton client, que tu t’apprêtes à défendre. Un peu comme un avocat.

En général, bon nombre d’entreprises investissent le champ des valeurs morales : performance, écologie, responsabilité, etc. Les valeurs morales, c’est gentil, mais elles enfoncent des portes ouvertes.

Pour ma part, je définis les valeurs au sens premier comme « ce qui a de la valeur », et donc « ce qui est important pour moi ». Par exemple, je pourrais avoir comme valeur de « favoriser les espaces piétons » parce que c’est quelque chose qui me tient à cœur, au-delà même de la question écologique. C’est important de distinguer les valeurs concrètes des valeurs morales pour la simple raison que, derrière une même valeur morale, on trouve une infinie variété d’interprétations personnelles. Qui est contre la liberté ? Qui est contre l’égalité ? Personne ! Mais nos différentes interprétations expliquent les conflits du monde entier.

Un rédacteur très porté par ses valeurs peut aller jusqu’à choisir les thématiques pour lesquelles il travaille. C’est une manière de combiner le sens et la spécialisation. C’est d’ailleurs ce que tu fais joliment, il me semble, Ferréole, en tant que consultante éditoriale.

Ferréole

Merci Jean-Marc !
Je rajouterai que l’écueil à éviter en accompagnant son client dans l’émergence et la verbalisation de ses valeurs seraient de plaquer les nôtres, une sorte de projection sur notre client

Jean-Marc

Effectivement, j’invite à bien prendre le temps de connaître votre client, sans projeter vos propres schémas. Un juste équilibre est à trouver entre le fait de guider son client, de l’accompagner à être au clair, davantage conscient et ambitieux, sans le trahir. Merci pour cet échange passionnant, Ferréole J


Un article écrit par Ferréole Lespinasse

Au sein de Cyclop Éditorial, Ferréole accompagne la redirection de la communication à travers l’approche par la sobriété éditoriale : conseil, audit de site et le langage clair.

Ensemble, recentrons la communication sur l’utile et l’essentiel. Réinventons les règles.