Contenu responsable : et si c’était la pureté de l’intention de rédaction qui primait ?

01 mai 2023
Temps de lecture : 10 minutes

Responsable… Ce mot figure dans le dictionnaire des mots nuisibles du magazine Socialter comme faisant partie de ceux à éviter. Et pourtant, il qualifie bon nombre de pratiques et de métiers. La communication et le marketing n’y échappent d’ailleurs pas. Effet de mode ou révolution des pratiques qui concrétisent l’utilité de nos métiers ?
Côté contenu, qu’est-ce que pourrait être un contenu responsable ? Quelle part de l’intention de rédaction dans cette responsabilité ?

Je vous partage quelques réflexions sur ce que pourrait être un contenu responsable. Utopies ou rêves féconds ? En tout cas, l’objectif est de réfléchir à davantage d’alignement en communication.

1 – Parler avec authenticité, transparence et sincérité

Qui dit contenu responsable implique tout d’abord un contenu sincère. Ce qui implique donc la sincérité de l’émetteur.

Plus besoin donc de verdir ou de maquiller, il s’agit d’assumer totalement ses actes, et donc d’évoquer les actions dont on peut être fier, sans pour autant cacher les autres. De nombreuses marques expliquent ainsi leurs actions visant à réduire leur impact environnemental tout en étant transparentes sur les limites qu’elles rencontrent.

L’extrême de cette attitude, que l’on peut voir par exemple dans les marchés publics aujourd’hui, où, sous couvert d’achats responsables, il est demandé aux prestataires de justifier de leurs actions environnementales, de la prévention des discriminations, et autres.

Il est, bien évidemment louable d’inviter chaque entreprise à s’interroger sur ses questions et de privilégier celles qui agissent réellement en ce sens. L’écueil, c’est que, prises au dépourvu, certaines brodent et font du copié collé d’autres pour se justifier. Abîmant, ce faisant, le mot responsable.

À l’inverse, je suis interpellée par des entreprises, qui fortement impliquées depuis de nombreuses décennies, restent discrètes sur leurs actions. D’après elles, préserver, être parcimonieuses, respectueuses fait partie du bon sens et n’a pas à être étalé de la sorte.

Cette humilité est louable. Et témoigne d’une certaine responsabilité des entreprises.

La question qui subsiste : comment, à moins de très bien connaître la marque et les entreprises, les consommateurs citoyens peuvent-ils déceler le vrai du faux ?

Deux livres pour les entreprises qui veulent sincèrement évoluer

  • « Les marques positives » d’Élisabeth Laville pose les bases sur lesquelles l’entreprise peut se questionner. Un ouvrage très complet et facile à utiliser. J’ai bien aimé la profondeur qu’il permet d’atteindre en remettant en cause le business model.
  • « Osez le slow en entreprise » d’Heidi Vincent, Delphine Poirier et Keyne Dupont. Pour un avant-goût, j’ai échangé avec Heidi dans l’article Sobriété digitale : comment concilier visibilité numérique avec responsabilité et éthique ?

Saluons également le certificat de l’influence responsable qui vise à « promouvoir un marketing d’influence éthique et responsable, respectueux des publics ».

2 – Contenu responsable : faire sens pour contribuer au bien commun

Prenons de la hauteur avec ces propos de Rudi Bauer[1] à propos du designer.

« Le rôle du designer est de mettre en perspective la demande. Il faut être sûr qu’elle fasse véritablement sens, que cela apporte quelque chose, non pas uniquement au commanditaire, mais à tout un chacun. (…).»

La même responsabilité appartient au rédacteur de vérifier le sens, la pertinence et l’utilité pour tous, de ses écrits.

Dans la même lignée, Jean-Marc Hardy a dit lors d’un récent échange (article Rédaction web et neurosciences : écrire en conscience) :

« Le rédacteur est comme un avocat qui défend son client. Il peut le défendre même s’il n’est pas totalement en accord avec ses positions. Certains avocats refusent cependant de défendre certains clients. Il en va de même avec la rédaction professionnelle. On peut être un mercenaire et tout accepter. Ou pas. »

Le mot responsabilité impliquerait ici le rédacteur qui choisit d’utiliser sa plume pour servir certains sujets.

3 – (Re)créer du sens par l’intention de communication

« La communication ne peut se limiter au fait seul d’exprimer, de séduire ou d’informer. Son rôle est de mettre en commun afin de créer et de partager la même histoire, de parler le même langage. » explique Laure Modesti-Jubin[2] dans le guide ADEME sur la communication responsable.

Ainsi, notre rôle de rédacteur peut également contribuer à changer les représentations, accompagner l’évolution des mentalités et participer à la création d’un nouvel imaginaire, dans lequel le toujours plus » n’est pas le modèle idéal.

Les mots ont un pouvoir. « Ils peuvent révolutionner le monde et changer l’histoire, car ils apportent une vision nouvelle. Car ils donnent vie à une nouvelle réalité. Le discours est la porte d’entrée vers la compréhension d’une pensée. » (Sensure, magazine Socialter)

D’où l’importance des mots. Créer un langage commun, c’est choisir les mots justes, en résistant aux modes qui assèchent les mots et les vident de leur substance.

C’est aussi nommer pour matérialiser les évidences que tout le monde croit partager sans les nommer, à exprimer précisément les non-dits ou les pensées tacites.

N’oublions pas non plus, la pureté de l’intention de rédaction, évoquée par Jean-Marc Hardy dans son ouvrage et sa formation Rédaction et neurosciences.

« Interroger l’effet généré par nos écrits me semble vraiment important. De nos jours, les actualités entraînent énormément d’anxiété. Et depuis 2 ou 3 ans, nous constatons un stress chronique dû à cet excès d’information anxiogène. Il n’y a qu’à regarder autour de nous et nous intéresser à l’évolution des indicateurs de santé mentale ! »

Ce que confirme Alizée Colin : « L’hyperconnexion et l’infobésité font le pont direct entre une envie de s’informer et une éco-anxiété grandissante. » dans l’article Eco-anxieté et numérique responsable : comment fait-on ?

Pour aller plus loin, complète Anne-Sophie Novel dans son ouvrage Mieux s’informer, je passe à l’acte [4] : 

« La façon dont nous percevons le monde joue sur la manière dont nous agissons (…). Le système médiatique a une influence sur nos pensées et la manière dont nous devons les formuler. Les producteurs d’informations, via leur hiérarchie des sujets et leur traitement des questions choisies, ont une responsabilité non négligeable dans la fabrique de l’opinion ».

C’est donc lié à cette intention de rédaction que l’on peut reconnaître un contenu responsable.

4 – Tendre à l’objectivité pour accompagner à se forger des raisonnements éclairés

Pour être efficace, la communication va à l’essentiel. Il peut arriver ainsi que l’entièreté des raisonnements ne soit pas développée pour éviter des méandres. Et faciliter l’accès à l’information.

Ces raccourcis peuvent comporter des biais. Comment expliquer ce monde complexe sans tronquer les visions et de distordre la réalité ?

« Lorsqu’on met un mot sur une chose, on, « esquisse » le réel, on en limite le contour et ce faisant on crée une forme d’arbitraire. »[5].

Comme l’explique Marie Girard dans son ouvrage Le design du sens, « nos biais cognitifs sont nombreux et influencent la façon dont nous percevons et comprenons l’information. Les biais de jugements en particulier vont influencer la confiance que nous portons aux contenus. (…) »

Citons également le biais de confirmation, qui nous incite à nous attacher aux seuls contenus qui confirment nos croyances et à nous écarter de ceux qui nous contredisent. À une période où les réseaux sociaux nous enferment dans des bulles d’information, comment réussir à travers l’écriture à ouvrir le regard et à considérer le point de vue de l’autre, même s’il est différent ?

Je pense à l’humilité de Julien Devaureix dans l’animation de son podcast Sismique[6] et son attitude de non-jugement « je choisis consciemment de ne pas débattre, y compris lorsque je ne suis pas d’accord avec ce qui est dit, je ne cherche pas à opposer mes propres idées, je suis là pour comprendre ce que pense l’autre, sa logique et son raisonnement »[7].

Cette posture d’écoute de véritable écoute est rare. En tant que rédacteur, l’on pourrait s’en inspirer avec la volonté d’accompagner notre lecteur à se forger un jugement vraiment éclairé, à «  s’affranchir de toutes les injonctions extérieures, de la morale, de la pression de ses pairs, et de trouver en soi, par l’expérience et l’écoute de ses affects, ce que l’on désire vraiment et la raison pour laquelle on le désire.[8]».

Pour arriver avec notre verbe à proposer d’autres visions, pour accompagner les mutations dans un monde très polarisé, où le débat trouve difficilement une place. Pour éviter la mise en place d’une pensée unique.

Marie Girard propose ainsi de prévenir ces biais avec un contenu « objectif et conforme ».

« Un contenu objectif est neutre et sobre, dépourvu de jugement de valeur. Il faut éviter d’émettre des opinions et d’utiliser les exclamations. Les images et la mise en pages sont sobres.

Un contenu objectif garantit que son auteur ne cherche pas à manipuler l’opinion du client. Pour que le client ait pleinement confiance dans le contenu, il faut qu’il soit conforme aux standards et aux conventions. »

Certes, ce n’est pas sexy. Mais, si notre responsabilité est d’accompagner à avoir un réel libre arbitre, notre contenu visera à informer et non pas à séduire.

Délicat, car on le sait, ce sont les contenus les plus clivants qui sont valorisés par les algorithmes et donc, qui ont le plus de chance d’être vus.

Finalement, la responsabilité peut inviter à dépassionner les débats pour aider à se forger des représentations les plus vraies possibles, les plus éclairées possibles.
Il s’agit de nous rendre attentifs au-delà de la finalité. Avec la précaution d’inscrire ses propos dans du définitivement peut-être, davantage que dans quelque chose d’abouti. Avec la volonté que le propos contribue davantage à une construction plus qu’une finalité.

5 – Veiller à une publication raisonnée : point trop n’en faut

Je reprends ici un des piliers de l’approche par la sobriété éditoriale

Publier du contenu, oui mais sans noyer nos lecteurs.

Le biais de répétition qui défend l’idée que dès lors que nous sommes souvent exposés à une opinion, nous finissons par y adhérer est appliqué à la lettre par tous, ad nauseam.

Sans respect ni de la charge mentale croissante ni de la liberté d’opinion des lecteurs.

Un autre aspect de la responsabilité est d’éviter d’oppresser notre lecteur déjà par ailleurs submergé d’information.

Pour aller plus loin, une émission de Radio France qui explore la part de responsabilité qui pourrait relever de notre lecteur Existe-t-il une consommation sobre de l’information ?

6 – Accompagner le public à se désintoxiquer du digital

La responsabilité peut également concerner l’addiction numérique et la peur de louper une information.

D’ailleurs, « Le sociologue Dominique Bouillier propose quelques pistes intéressantes…, ou radicales selon les points de vue. Afin de freiner la réactivité des internautes, les plateformes pourraient limiter la publication à un « tweet », un j’aime, un message Facebook par jour, propose-t-il. Selon lui, il en va de notre sécurité mentale collective. »  partagent Maxime Guedj et Anne-Sophie Jacques, dans le formidable livre Déclic.

Ce matin, je lisais l’article d’Hubert Guillaud Coincés dans la grande dépression des plateformesqui évoque le malaise technologique : « Les plateformes ne sont qu’une compensation technique à la perte du sociale et à la destruction de l’individu, dans lesquelles nous sommes apprivoisés, incapables d’agir, dépossédés de notre volonté à force d’être nudgés. »

D’un point de vue politique, n’y a-t-il pas un formidable argument pour réfléchir aux raisons de publier autant de contenus et aux conséquences de ces actes ? Quelle responsabilité relève de l’entreprise émettrice, du rédacteur, du lecteur qui s’informe ?


Un article écrit par Ferréole Lespinasse

Au sein de Cyclop Éditorial, Ferréole accompagne la redirection de la communication à travers l’approche par la sobriété éditoriale : conseil, audit de site, rédaction et formations, conférences et sensibilisation en sobriété éditoriale, rédaction web, langage clair.

Ensemble, recentrons la communication sur l’utile et l’essentiel. Réinventons les règles.


Le dictionnaire des mots nuisibles

[1] Article Rudi Bauer

[2] Le guide de la communication responsable ADEME, page 64

[3] Socialter Sensure, avril 2021,

[4] Anne-Sophie Novel, Mieux s’informer, je passe à l’acte, page 17

[5] Devaureix Julien, Le monde change et on n’y comprend rien, page 35

[6] Un podcast que qualité que je suis heureuse de soutenir

[7] Devaureix Julien, op.cit., page 80

[8] Devaureix Julien, op.cit., page 275